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Prof, Atchoum, Dormeur, Grincheux, Joyeux, Timide, Simplet… Sept nains, sept personnalités différentes. Les animaux aussi montrent des différences comportementales entre individus, et il est aisé de qualifier son animal de compagnie de curieux, explorateur, peureux, timide ou encore social… Comprendre comment ces traits de personnalités émergent au cours du développement est un enjeu actuel important pour identifier les mécanismes potentiels d’adaptation comportementale à des changements ou perturbations environnementales.
En effet, les comportements animaux se mettent en place non seulement sur la base du patrimoine génétique, mais aussi sous les influences de l’environnement dans lequel l’organisme grandit. Depuis les années 1960, les recherches se sont particulièrement intéressées aux effets de l’environnement social postnatal pour montrer que la mère, par son comportement de soins, jouait un rôle déterminant dans le développement comportemental, émotionnel et cognitif de ses jeunes, chez les primates comme chez d’autres mammifères (tels que les rongeurs).
Notre équipe de recherche travaille depuis plusieurs années sur ces questions de plasticité comportementale sous l’effet maternel chez l’oiseau, en montrant des effets analogues aux mammifères. Nous avons par exemple démontré que le comportement maternel chez la caille du Japon, une espèce proche des poules, est un trait de personnalité, c’est-à-dire que chaque femelle avait sa propre conduite maternelle qui se répète d’un maternage à l’autre.
De plus, le comportement maternel modifie le développement du comportement des jeunes. Par exemple, les femelles les plus émotives (qui ont tendance à avoir peur face à une situation nouvelle) sont plus distantes et négligentes, avec leurs jeunes. Jeunes qui deviennent eux-mêmes plus émotifs à l’âge adulte, et ce même s’ils ont été adoptés, donc sans lien génétique avec la mère. Ainsi, la mise en place de la personnalité de l’animal est fortement influencée par le comportement de la mère envers le jeune après l’éclosion, ce qui montre l’importance de la transmission culturelle par la mère, au-delà de la transmission génétique.
La plasticité comportementale se met en place dès la vie embryonnaire
Toutefois, la plasticité comportementale ne commence pas à l’éclosion ou la naissance, mais bien dès la conception, in ovo ou in utero. L’embryon dans son œuf n’est pas isolé de son environnement : il peut percevoir les informations lumineuses, olfactives ou encore sonores de son milieu, à des moments où ses systèmes sensoriels sont en train de se mettre en place. Les jeunes cailleteaux sont par exemple capables d’apprendre les cris de leur propre mère lors des derniers jours d’incubation, afin de pouvoir l’identifier dès l’éclosion.
Au sein du laboratoire CNRS d’éthologie animale et humaine de l’Université de Rennes 1 (et en collaboration étroite avec nos collègues de l’université de Caen, et de l’INRAe de Nouzilly-Tours), nous nous sommes ainsi interrogés sur les effets de l’exposition prénatale de sons dits « naturels » (à valeur biologique comme des cris de prédateurs) ou de sons dits « artificiels » (sons anthropiques sans valeur biologique). Nous avons pour cela posé l’hypothèse que la perception prénatale des sons (dans la mesure où l’exposition n’est pas excessive) aurait des effets bénéfiques en réponse aux sons naturels, et néfastes en réponse aux sons artificiels. En d’autres termes, notre étude cherche à comprendre comment des stimulations sonores naturelles ou artificielles peuvent influencer le futur comportement des jeunes.
Pour cela, des embryons de cailles ont été exposés soit à des cris d’épervier (prédateur potentiel), soit à des sons artificiels métalliques, alors que d’autres embryons étaient incubés en silence.
Dès l’éclosion, tous les cailleteaux ont été élevés en groupe social, dans les mêmes conditions d’élevage. Durant leurs trois premières semaines de vie, nous avons évalué leur réponse comportementale sur trois dimensions de la personnalité, grâce à de courts tests éthologiques (entre 5 et 10 minutes).
Tout d’abord, nous avons mesuré la réactivité émotionnelle des oiseaux, c’est-à-dire leur tendance à avoir peur. Tout d’abord, nous avons mesuré cette réactivité lors d’une réponse anti-prédatrice : les oiseaux « font le mort » en cas de danger, un comportement catatonique qui peut être induit expérimentalement en plaçant l’animal sur le dos délicatement et le relâchant après quelques secondes. L’animal reste alors dans cette posture dite d’immobilité tonique ; plus il la garde, plus il est considéré émotif. La seconde dimension de la peur que nous avons mesurée est la réponse de l’animal à un bruit nouveau soudain.
Nous avons aussi évalué leur comportement exploratoire face à la nouveauté (face à un objet ou à un environnement nouveau), révélateur d’une capacité d’adaptation en milieu changeant. Enfin, nous avons mesuré leur socialité via leur motivation sociale, qui est la tendance à vouloir rétablir un contact en cas de séparation sociale. Pour cela, nous avons mesuré leur réponse vocale (nombre de cris d’appel) lors d’une courte séparation, ainsi que leur rapidité à se déplacer pour rejoindre un groupe de jeunes.
Les sons entendus dans l’œuf modifient les comportements des jeunes cailleteaux
L’expérience acoustique prénatale vécue par les cailleteaux a modifié la réponse comportementale des jeunes. Par comparaison aux embryons incubés en silence, les embryons exposés à des cris de prédateurs ont développé une plus forte réponse anti-prédatrice spontanée (réponse d’immobilité tonique plus longue) ou face à des bruits soudains artificiels (plus de comportements de peur exprimés après la diffusion du son). Mais ils ont aussi développé une plus grande rapidité à explorer des environnements ou objets nouveaux (la latence d’exploration de l’objet nouveau, et la latence de déplacement dans l’environnement nouveau est réduite).
En résumé, les cailleteaux qui ont perçu les cris de prédateur dans l’incubateur se sont montrés plus émotifs en présence d’un danger, mais aussi plus curieux à explorer de la nouveauté.
Au contraire, les cailleteaux incubés avec les bruits artificiels n’ont pas développé des comportements émotionnels et explorateurs différents des cailleteaux incubés dans le silence. Par contre, ils ont développé une socialité différente. En effet, ils se sont montrés très réactifs lors d’une séparation sociale : ils ont poussé beaucoup plus de cris d’appel et ont rejoint plus rapidement leurs congénères, en comparaison aux cailleteaux incubés en silence ou avec des cris de prédateurs (chez qui ce comportement était similaire).
Ces résultats ont montré que, dès la vie prénatale, les stimulations environnementales contribuent à structurer la future personnalité des individus, et ceci différemment selon la nature de la stimulation. Ainsi, la perception in ovo de cris de prédateurs a rendu les jeunes plus réactifs face à un prédateur et plus audacieux en contexte nouveau, autrement dit des effets bénéfiques sur l’adaptation de l’animal à son milieu naturel. À l’inverse, la perception de bruits anthropiques artificiels les a rendus plus anxieux à l’isolement social, ce qui peut les freiner dans leur capacité à exploiter leur milieu.
Ces travaux contribuent ainsi à mieux comprendre l’influence de l’environnement prénatal sur les mécanismes d’adaptation postnatale, mais aussi les conséquences de la pollution sonore sur les populations animales. Ainsi, il est indispensable de continuer les recherches sur les mécanismes du développement comportemental dans deux contextes d’application possibles. Au niveau des programmes de conservation des espèces, il est nécessaire de mieux comprendre comment élever des animaux à des fins de réintroduction dès la phase prénatale. Enfin, à l’heure de l’Anthropocène, il devient crucial d’appréhender comment l’activité humaine (ici en termes de pollution sonore) peut perturber le comportement des animaux, et impacter leur survie.
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Sophie Lumineau, Enseignante-chercheuse, Université de Rennes 1
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.